MEMOIRES D'UN SEiN de JONATHAN HAMMEL


Résultat de recherche d'images pour "image coeur rose"COUP DE CŒUR MAGISTRAL !.















Le cancer, le mot, la maladie, sa signification, sa représentation. Le vécu familiale fait que je serais passée outre ce livre, comme pour dénier ou du moins zapper ce cruel ennemi qui se repaît du corps et de l’esprit. Mais QUELLE BELLE ERREUR ça aurait été de passer à côté ! 

Après la réception livresque de Jonathan Hammel, me voilà sidérée. Médecin et écrivain, on sent bien la richesse de ces deux étiquettes dans « Mémoires d’un sein ». Mais c’est aussi un conteur hors pair qui réussit à rendre ce roman frais, léger, piquant. Parce qu’en plus je ne vous ai pas dit ? Son humour est décapant ! 

De manière insolite, Jonathan Hammel personnifie les organes de Julia, l’héroïne. Et si au départ j’étais sceptique de découvrir cette « personnification organique », il en ressort que c’est un tour de maître qu’il nous offre là ! Et ce n’est pas la psychologue en moi qui parle mais bien l’être sensible pétri d’angoisses existentielles. Je n’irai pas jusqu’à dire que le cancer ne m’effraie plus, mais en tout cas je me sens plus légère, comme délestée d’un poids, de mes angoisses psychiques récurrentes sur ce thème. 
Discrètement et sans condescendance, l’auteur nous révèle un jargon médical teinté d’humour, un soupçon de psychologie maîtrisée, la réalité de la relation médecin/patient passée au crible avec justesse, et les questionnements et l’incertitude qui découlent du vécu de la maladie. 


Julia a 30 ans, elle est belle, insouciante, immortelle. Sa vie de Parisienne exaltée s’écoule avec langueur, entre quelques amants de passage et son métier de médecin urgentiste. Puis un jour, une boule dans le sein. Une boule quoi, pas de quoi en faire un drame. Un nodule, certainement. Après tout, elle a 30 ans. A 30 ans, ce genre de choses n’arrivent pas, ou si peu. Pourquoi elle, d’abord ? Puis, le temps s’épaissit, les premiers examens arrivent. 

« Il y a certains silences qui hurlent si fort qu’on les entends encore, quand l’orage est passé ». 

Les organes comprennent, vivent la nouvelle avec leur hôte. Ils se redressent, discutent, se questionnent. Tantôts ironiques, tantôt angoissés. Seront-ils touchés eux aussi ? Comment venir en aide à ce sein malade qui ne sait pas ce qui adviendra de lui ? Je ne vous parle pas de leurs noms, ça m’a bien fait rire de les distinguer au fil de la lecture, je vous laisse ce plaisir ! En tout cas, ils ne manquent pas de répartie, vous êtes prévenus… 
D’une plume à la fois experte, lyrique et raffinée, Jonathan Hammel nous immerge dans le quotidien de Julia et de son corps. Ses envies. Ses changements. Son combat. Ses surprises. Love is in the air. 
Félicitations, Doc, pour ce roman que j’ai lu d’une traite. Et surtout, surtout : Merci. 😉


 ↝ A la loupe ... 🙈

Parmi les nombreuses difficultés liées à l’écriture d’un tel roman, on retrouve également celle de se mettre dans la peau d’une femme alors que l’on est … un homme. Logique me direz-vous. Cela dit, pari tenu et avec justesse. 
Chaque être, qu’il s’agisse d’un homme ou d’une femme peut se départir des clichés liés à sa condition sexuelle et au conditionnement social qui résulte de notre apprentissage humain, mais il est une chose qui reste bien ancrée et pour cause : la poitrine à proprement parler reste figure féminine liée à la maternité, à l’image de la féminité au même titre que le sexe masculin est propre à l’homme. Et tout cela est abordé, une fois encore, avec fraîcheur dans « Mémoires d’un sein ». Avec fraîcheur mais aussi beaucoup de maturité, de connaissances, de cheminement, au travers de ces organes bien vivants, personnifiés et notamment de ces deux seins. Le sein « malade » et le sein sain (sans mauvais jeux de mots !). 
Le sein malade est une projection directe des angoisses de l’héroïne, Julia. Projection qu’Albert, l’intellectuel cerveau de la bande se charge de tempérer (Oui, les parties du corps ont bel et bien des discussions, chargées d’émotions, qui font sourire, réfléchir, se positionner sur la maladie et son vécu organique) tandis que Coralin le cœur gère comme il peut l’ébranlement de la maladie en même temps que l’ivresse de l’amour qui pointe le bout de son nez. 

A Julia, qui « redécouvre » l’importance de son métier : une infirmière lui dira :

« Bravo pour ton implication Julia, c’est bien de parler aux patients, les jeunes médecins l’oublient souvent » 

 Julia exprimera ensuite ; 

« Sa remarque me prend au dépourvu mais l’explication en est simple. Intuitivement, je connais la réponse. Je suis déjà l’autre. Je suis tout le monde, je suis ce vieillard déshydraté, cette femme cirrhotique, ce bébé brûlé au second degré. Mon empathie commence à prendre son envol, un mécanisme de défense comme un autre, tous à vos positions, les femmes, les seins et les enfants d’abord »

➞ Une anecdote teintée de dérision mais qui fait écho à sa propre condition de patiente et l’amène à une remise en question de ses pratiques : elle agit comme elle aimerait qu’on le fasse pour elle, en somme, et revoit ses principes : 

Un patient = une personne, des angoisses, de l’anxiété, un corps propre et non pas un patient = un numéro. C’est tout en délicatesse que Jonathan Hammel fait passer ce type de messages, sans velléités de faire la morale, messages essentiels pour le monde actuel du soin, dans lequel se ressent une déshumanisation croissante.

↝ Jonathan Hammel explore également avec pertinence les éprouvés psychiques, les séances chez le psychiatre, le discernement accru qui s’offre à Julia : 

« Après deux minutes de silence, elle décrit ce qu’elle avait ressenti en apprenant la nouvelle, en l’annonçant à ses parents. Les réactions bien distinctes de chacun ; son père, sa mère, chez qui la communication était brisée depuis des années et qui allaient devoir trouver un terrain d’entente. Les amis, les fuites, les peurs de ceux qui se voyaient mourir dans ses yeux et préféraient détourner le regard ». 


Les nouvelles habitudes et le recentrage sont de mise, toujours avec une note rigolote qui fait tendrement sourire :
« Thomas (le ventre) vécut une révolution : Toute une famille d’aliments inconnus se présentèrent au portillon, salut, on peut rentrer, contents de faire votre connaissance. Baies de goji, graines de courge, guacamole au curry et au citron bio : la guerre contre l’oxydation était lancée ».  

Les choix de Julia, son amitié avec Lily, véritable rayon de soleil qui lui met du baume au cœur, la baby shower particulièrement agaçante à réaliser pour sa sœur nouvellement mère, les réflexions sur sa propre envie d’enfant, la possibilité de le devenir, la tumorectomie, le traitement. Tout y est. Et quand l’amour s’en mêle, nos organes favoris ne répondent (presque) plus de rien ! 💗

« Nous arrivâmes sur le terre-plein, face au Sacré-Cœur. La foule habituelle s’agitait aux pieds de la dame blanche : touristes émerveillés, Parisiens prenant de la hauteur, pickpockets habiles… Julia et Victor s’accoudèrent à une rambarde surplombant la ville. Leurs coudes se touchèrent : un frisson. Victor posa sa main sur celle de Julia et Albert (le cerveau) annonça, solennel : « Les gars, je ne réponds plus de rien. Julia a lancé le programme automatique ». Coralin (le cœur) était maintenant silencieux et on sentait ses pulsations qui nous soulevaient légèrement. Ba-doum, Ba-doum, Ba-doum. Dehors, le monde s’était rétréci à un espace intime formé entre Julia et Victor. Les bruits de la ville s’étaient tus, on entendait que Coralin. Ba-doum. Victor baissa les yeux, croisa mon regard (le sein malade), m’imagina sûrement. Il les releva et rapprocha sa bouche de celle de Julia. Coralin manqua une mesure, se rattrapa comme il le pût. Ca y est ils s’embrassent et je suis comprimé contre son blouson en jean. Ma cicatrice me fait un peu mal, je me contracte, puis, lentement, je me relâche et me perds dans l’instant. »

Bref, vous l’avez compris, un coup de cœur, un coup de maître, un coup de sein que sais-je ?  😜 Mais un coup réussi ! 

C’est un roman que tout le monde devrait avoir dans sa bibliothèque : médecins, patients, angoissés de l’existence, amoureux de l’écriture, hommes, femmes, seins malades, seins en pleine santé. Vous ne le regretterez pas un instant (et c’est une effrayée du sujet qui vous le dit !) 

Pas une minute on ne s’ennuie, pas un instant on ne s’agace, pas une seule fois on ne prend peur. Et on s’attache non seulement à Julia mais aussi à son organisme, son entité, son psychisme. On s’attache à tout ce qui la relie à notre propre condition d’humain. Il ne s’agit pas d’un livre de développement personnel mais en tout cas, l’idée de donner un comportement et un caractère propre aux organes, c’est une vraie source d’inspiration qui titille l’enfant amusé qui sommeille en nous et l’adulte qui, à force de sur-côtoyer les nouvelles avancées technologiques, le nez dans son Smartphone, les probabilités et la rationalité à l’état pur, en oublie qu’il  y a bien des choses qu’on ne sait pas et ce, sur nos propres corps. Notre corps nous dit beaucoup de choses. Encore faut-il savoir l’écouter. Comme j’aime à le dire, le corps est le théâtre de l’expression du psychisme et nos petits organes ont bien des choses à nous apprendre ! 

Comme une envie, en refermant le livre, de sortir avec Julia et Lily écouter un bon jazz dans un bar sans âge, alors que Paris entame sa valse langoureuse et crépusculaire. 💜 

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